Les députés votent
la ratification de la charte des langues régionales
LE MONDE / 28.01.2014
Entamé il y a plus de vingt ans, le
processus n'a jamais eu autant de chances d'aboutir.
La ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires,
maintes fois repoussée, pourrait enfin devenir réalité en France.
Les députés ont voté mardi 28 janvier en faveur d'une
modification de la Constitution permettant de ratifier le texte, par une large majorité de
361 voix contre 149, au-delà donc de la majorité des trois cinquièmes. Si
une proportion comparable se retrouve au Sénat, le seuil nécessaire pour modifier la Constitution par la voie du Congrès
(réunion des deux chambres à Versailles) sera atteint.
Adoptée en 1992 et entrée en vigueur en 1998, cette charte
qui vise à protéger les langues régionales et des
minorités en Europe a déjà été ratifiée par la plupart des
pays européens. La France, de par le poids de ses institutions jacobines, fait encore
figure d'exception, mais François Hollande s'était
engagé pendant la campagne à la faire rentrer dans le rang. Le 13 décembre 2013, le
premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a profité de la crise des « bonnets rouges
» pour mettre en route
cet engagement du candidat Hollande.
Si
le rapporteur du texte, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), se félicite
aujourd'hui de n'avoir «
jamais été aussi près de ratifier la charte », il
reconnaît : «Nous
avons sédimenté les contraintes pour aboutir à une loi peu lisible. » Car les législateurs ont dû manœuvrer
pour contourner l'obstacle mis au jour en 1999 par le
Conseil constitutionnel, qui avait alors bloqué le processus ouvert par Lionel
Jospin; les juges constitutionnels avaient estimé que cette charte « porte atteinte aux
principes constitutionnels d'indivisibilité de la République ».
Il a donc fallu cette fois « sécuriser » la proposition de loi, en y ajoutant
deux restrictions « visant à contourner la décision du Conseil
constitutionnel », comme l'explique M. Urvoas. Soit, en d'autres termes, écrire dans la Constitution que l'application
de la charte n'entre pas en conflit avec ladite Constitution… Un gymkhana
juridique, qui pour les uns protège, mais pour d'autres, comme l'écologiste
Paul Molac (Morbihan) « pourrait se retourner contre les langues régionales
».
Dans un courrier adressé aux députés, le président du comité
français du Réseau européen pour l'égalité des langues, qui fédère les
associations de défense des
langues régionales, Tangui Louarn, abonde dans le même sens. Pour lui, ces
formulations « ne
feraient que renforcer dans la Constitution
l'exclusivité du français dans la vie publique et sociale ».
«
Ce n'est pas la Constitution qui est incompatible avec la charte européenne
mais l'interprétation qu'en a donnée le Conseil constitutionnel », écrit-il encore, relayé par l'UMP Marc Le Fur (Côtes-d'Armor), favorable
à une ratification au travers d'un texte simple et sans restriction. Pour lui, « la France doit sortir de sa singularité mais le texte de M. Urvoas est
une impasse ». Président
de la commission des lois, celui-ci devrait toutefois parvenir à convaincre une majorité d'élus de voter ce texte, à portée essentiellement symbolique.
« S'il ne
change rien, alors pourquoi le voter ? », s'emporte Henri Guaino (UMP, Yvelines), vivement opposé au texte, qui est
pour lui «
une attaque directe et frontale contre le modèle républicain ». Reprenant
l'avis du Conseil constitutionnel, l'élu considère ce texte comme « incompatible » avec la République car, «
pour la première fois, la France reconnaîtrait des droits juridiques à des
minorités », ce qui
serait « la porte
ouverte au communautarisme ».
S'il est adopté
par les députés, le texte devra ensuite être voté dans les mêmes termes par le Sénat puis,
proposition de loi constitutionnelle oblige, être adopté par référendum. Sauf si le
gouvernement le reprend à son compte en le transformant en projet de loi, ce
qui lui permettrait de le faire voter par les trois cinquièmes du Parlement
réunis en Congrès. Telle serait en tout cas son intention, à en croire M. Urvoas, certain qu'un Congrès se
tiendra avant 2017 et permettra, enfin, la ratification de la charte.
Hélène Bekmezian
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