Education
: et si on arrêtait la compétition ?
Les
pays nordiques et anglo-saxons ont adopté une pédagogie fondée sur
le travail collectif. L’idée émerge à peine en France.
LE
MONDE | 15.11.2017
Signal
faible d’une renaissance durable ? Baroud d’honneur ? Poitiers a
accueilli début novembre une première Biennale internationale de
l’éducation nouvelle. Elle a été portée par six mouvements qui
défendent les pédagogies dites coopératives, celles qui avancent
que les élèves apprennent mieux ensemble, en se questionnant, en
réalisant des projets communs, et surtout que ces approches
contribuent à forger « le futur citoyen capable de remplir ses
devoirs envers ses proches et l’humanité dans son ensemble, mais
aussi l’être humain conscient de sa dignité d’homme ».
De
fait, les résultats de la recherche sont constants : à l’école
primaire, les pédagogies coopératives se révèlent non seulement
favorables aux apprentissages mais elles rejaillissent également sur
la qualité de vie à l’école, le climat scolaire et l’estime de
soi. En outre, atténuer la compétition entre élèves renforce la
motivation et leur satisfaction scolaire. Pourtant, en France comme
dans de nombreux pays, domine toujours ce que Nathalie Mons,
directrice du Conseil national de l’évaluation du système
scolaire, nomme la « pédagogie du bus » : le même contenu est
proposé au même moment à tous les élèves d’une classe réputée
de niveau homogène. « La coopération entre pairs à l’école
primaire n’est pas inscrite dans le paradigme scolaire français.
Alors qu’elle fait partie de la culture anglo-saxonne – on la
retrouve aux Etats-Unis ou dans les pays nordiques et asiatiques. La
France fait figure d’exception », tranche la sociologue.
Conditions
propices
Cette
exception est à mettre sur le compte de l’opposition de l’Eglise
catholique au développement de l’enseignement mutuel en France, au
XIXe siècle. Cette pédagogie, dans laquelle chaque élève apprend
et transmet, rompt avec le mode d’enseignement dit simultané –
le maître face à ses élèves. Elle a d’abord été mise en place
en Angleterre, au début du XIXe siècle, avant de se répandre en
Europe. Dans l’Hexagone, elle a été vue comme une offensive des
libéraux athées et protestants et comme une tentative de
laïcisation de l’enseignement. Elle tentera une modeste percée
dans l’entre-deux-guerres, portée par le mouvement de l’éducation
nouvelle, puis à la fin des années 1960, mais sans jamais s’imposer
à l’ensemble du système. Si bien que les enseignants français
qui adoptent, ici ou là, des pratiques pédagogiques coopératives
demeurent à la fois marginaux et marginalisés.
L’organisation
et les atouts de ces pratiques, parmi lesquelles le travail de groupe
et le tutorat, sont au cœur d’ “Enseigner sans exclure”, le
dernier ouvrage de l’enseignant-chercheur Sylvain Connac. « Le
travail de groupe permet [aux élèves] de communiquer leurs idées
personnelles, d’entendre celles des autres, de les confronter et de
chercher “qui a raison”, de ne pas parvenir à se mettre d’accord
et, au final, de se poser tellement de questions que les explications
de l’enseignant répondent à une faim avide de savoir »,
explique-t-il. Les compétences ainsi développées favorisent
l’acquisition de la culture écrite. Quant au tutorat, le chercheur
le juge non seulement « intéressant en termes de développement de
l’altruisme » mais aussi susceptible de « faire progresser chaque
élève dans les apprentissages, s’il est tour à tour tuteur et
tutoré », comme l’ont également montré les travaux de Claire
Héber-Suffrin, docteure en sciences de l’éducation. « La
meilleure façon d’apprendre, c’est d’enseigner. Avec la
pluralité des savoirs scolaires, c’est possible. Il n’y a pas
d’élève nul partout », affirme Sylvain Connac.
Cette
possibilité donnée à chaque enfant de « prendre la tête du
peloton », Dominique Garoche a pu l’observer en séjournant à la
Lauttasaari Primary School d’Helsinki, en Finlande, dans le cadre
d’un projet Erasmus +. « La palette d’activités manuelles et
intellectuelles proposées permet à chacun d’être valorisé dans
un domaine. Les enfants bricolent et fabriquent énormément,
ensemble, par deux ou trois, en s’entraidant », décrit cette
professeure des écoles. Elle insiste sur les conditions propices au
développement de l’individualisation des apprentissages et de la
coopération entre pairs au sein de l’école finlandaise : espaces
dévolus et outils à foison pour les activités manuelles,
leadership de la directrice et de son adjointe favorisant le travail
en équipe, enseignants formés et suivis, et présence d’enseignants
supplémentaires dans l’école. Dominique Garoche compare : « En
Finlande, la coopération existe entre adultes et entre pairs. On ne
peut pas apprendre aux élèves à coopérer si on ne le fait pas
nous-mêmes. »
«
Message clair »
L’ancien
directeur général du Centre de mobilité et de coopération
internationales du ministère finlandais de l’éducation, Pasi
Sahlberg, dresse également le tableau flatteur d’une école connue
pour caracoler en tête des classements internationaux. « La culture
des écoles finlandaises est coopérative. De nombreux apports de
Célestin Freinet, Maria Montessori, et d’autres pédagogues, sont
intégrés dans les salles de classes ordinaires. La responsabilité
collective de l’enseignement et de l’apprentissage y est
essentielle. »
Toutefois,
en se référant aux récents travaux de Sherry Turkle, anthropologue
au MIT (Massachusetts Institute of Technology, Cambridge,
Etats-Unis), l’expert en éducation s’inquiète du « déclin
notable de l’empathie chez les adolescents finlandais, grands
utilisateurs de technologies numériques et en particulier des médias
sociaux, qui ne sont pas toujours bons pour leur développement ».
Selon Pasi Sahlberg, « la réduction des programmes scolaires pour
se concentrer sur des choses mesurables a réduit les opportunités
et la motivation à enseigner l’empathie à l’école ». Un
apprentissage qu’il juge pourtant important pour l’humanité, la
cohésion sociale et l’harmonie dans nos sociétés. Ce fin
connaisseur des systèmes éducatifs invite à se tourner vers le
Canada, pays le plus avancé en la matière.
C’est
dans la province canadienne de Québec que l’enseignante Danièle
Jasmin a développé la méthode dite du « message clair ». Cette
technique de communication non violente permet de faire travailler
les élèves sur leurs émotions, le développement de leur empathie
et leur capacité d’écoute. Le professeur des écoles Bruce
Demaugé-Bost l’utilise avec les 28 élèves de sa classe
multiniveaux située en REP + (Réseau d’éducation prioritaire
renforcé), à l’école Federico-Garcìa-Lorca de Vaulx-en-Velin,
près de Lyon. « Avant, quand un élève était gêné par son
voisin, le ton pouvait vite monter. Maintenant, il informe son
camarade qu’il a un “message clair” pour lui. » S’ensuit
alors un échange codifié, qui va de l’exposé de la situation à
la proposition d’une solution, en passant par la verbalisation des
émotions de l’émetteur du « message clair ». A l’instar de
cette technique, venue d’Outre-Atlantique, les bonnes pratiques se
jouent désormais des frontières, grâce à Internet et aux médias
sociaux.
Source: Le Monde
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