A Beauvais, le jour d’après l’émeute au Nutella
Reportage à l’Intermarché de Beauvais-nord (Oise), où la promotion sur le Nutella jeudi a créé l’hystérie.
Samedi,
à l’Intermarché Beauvais-nord (Oise), sous un ciel sous couleur,
le calme est revenu. Mais les scènes de cohue, provoquées par une
promotion à -70% sur le Nutella, font honte aux habitants. Chacun
s’interroge : comment un pot de 950 grammes à 4,70€, soldé
1,41€ du 25 au 27 janvier, a pu créer une telle bousculade au sein
des rayons ? « Bêtise », « cinglés », « sauvages ». Les
insultes pleuvent. Mais, très vite, certains chuchotent un autre mot
« précarité ». Comme si cette guerre pour 3€ n’était que la
photographie d’une détresse sociale, que l’on préfère ignorer.
« Là, ils peuvent s’offrir de la marque ! »
«
D’habitude, les gens achètent de la pâte à tartiner au premier
prix comme ça, ils économisent pour mettre de la viande dans leur
assiette, là, ils peuvent s’offrir de la marque ! », assure comme
une évidence Kerrigan, croisé avec sa famille. Gosse de 19 ans, en
survêtement noir, accro au Nutella, il en engloutit à la petite
cuillère un pot de près d’un kilo, en deux jours depuis tout
petit. « Mais je ne peux pas toujours m’en offrir ». Sans emploi,
Kerrigan, vit chez sa mère, derrière l’hypermarché, « là-bas
», lance-t-il, évoquant les grandes tours de la cité plantées au
milieu de nulle part. Alors, ce matin du 25 janvier, premier jour de
promotion, le garçon débrouillard, arrivé tôt, parvient à se
faufiler entre les bousculades et les chariots renversés. Et à
sauver ses deux pots malgré les mains voleuses. « Les gens se
poussaient car on ne pouvait en acheter que trois ». Sa mère est
attrapée par le manteau, les vigiles sidérés. Une vidéo de
l’hystérie collective filmée par un client, vue 150 000 fois
devient la risée des internautes.
Que
répondre à cette pluie de moqueries ? Le garçon la comprend. Son
frère Jeffrey, 23 ans, papa de deux enfants, au chômage, lui n’a
pas participé à la scène. N’excuse rien. Mais poursuit, timide.
« Ici, les mentalités ne sont pas comme à Paris. Dès qu’il y a
une promo, les gens se l’arrachent ». Sa petite copine Laura
acquiesce. «La vie est tellement dure, lâche-t-elle, le regard
vide. Une personne sur deux est au chômage dans notre entourage.
Faut bien nourrir les enfants et leur faire plaisir quand on peut ».
Une promotion de fin de mois, où chaque euro compte.
A
la sortie de l’hypermarché, une caissière confirme cette ruée
permanente : « Ici, les gens courent dès l’ouverture. Y a 15
jours, le pack de six bouteilles de Perrier était à 0,96€, ça a
été une véritable razzia ! ». Sa collègue Aurélie* évoque
aussi une « sorte d’engrenage comme pour les soldes ». Un
mouvement de meutes. « Quand tout le monde veut un produit,
forcément on le veut aussi ». Laetitia, 34 ans, cernes creusés, en
sait quelque chose : « A l’école, les parents lâchaient leurs
enfants et couraient vers l’Intermarché en criant vite, vite, y
aura plus de Nutella ». Une semaine avant, cette ristourne
spectaculaire sur un produit familial rarement soldé, s’affichait
partout, faisant monter la fièvre collective : arrêt de bus,
réseaux sociaux, catalogue de l’hypermarché. Surtout que cette
promotion est tombée, en fin de mois, où chaque euro compte.
« C’est un produit de luxe, comme le vrai Coca »
«
A cette période, il me reste parfois 20 à 30€, glisse Sadio, mère
de 3 enfants. C’est un produit de luxe, comme le vrai Coca ».
Alors, certains n’hésitent pas à jouer les petits revendeurs.
Avec sa copine Aline, elles viennent de voir sur le groupe de
brocante de Beauvais, que les fameux pots étaient déjà proposés à
3€ sur Facebook. S’ils en ont acheté 10, ça fait 15€ de gagné
». Un business qu’a remarqué le personnel du magasin. « On a vu
les mêmes clients pendant trois jours, ils en prenaient dix pour les
revendre plus cher, avance une responsable, désolée. Ils sortaient
même des cartes handicapées pour passer en priorité ! ». Samedi,
en cette fin d’après-midi, impossible de trouver le fameux sésame
en rayon. Prudente, la responsable en distribuait à la demande, un
carton à la main. Sans cesse, interrompue, par les clients. «
Excusez-moi, il vous reste encore du Nutella ? ».
*Les
prénoms ont été changés.
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