Bouquet
de tulipes
Pourquoi la polémique du « Bouquet of
Tulips » de Jeff Koons ne dégonfle pas ?
Annoncée comme « un
geste d’amitié entre le peuple américain et le peuple français »
après les attentats de 2015 et 2016, l’œuvre suscite un grand
débat depuis un an et demi.
Après le Tree de Paul
McCarthy, gigantesque sculpture en forme de « plug » (jouet sexuel)
anal installé en 2014 sur la place Vendôme, puis le Vagin de la
reine, d’Anish Kapoor en 2015 à Versailles – deux œuvres
temporaires –, voilà le Bouquet of Tulips (« Bouquet de tulipes
») de Jeff Koons, et la polémique qui l’accompagne. Si l’œuvre
n’a a priori aucune connotation sexuelle, elle échauffe les
esprits. Elle a suscité une pétition et, surtout, une salve de
tribunes dénonçant le projet d’installation sur l’esplanade du
Palais de Tokyo de cette œuvre monumentale, à proximité du
Trocadéro, dans le 16e arrondissement de Paris.
Face à l’imbroglio, la
ministre de la culture, Françoise Nyssen, a décidé d’intervenir.
Mardi 30 janvier, elle recevait l’artiste. Que se sont-ils dit ? «
Jeff Koons est venu voir la ministre, pas pour s’exprimer sur la
polémique ni imposer l’œuvre », explique Emmanuelle de Noirmont,
qui a représenté l’artiste en tant que galeriste jusqu’en avril
2013. Quelques jours plus tôt, la ministre s’était rendue place
de Tokyo, à l’emplacement où l’œuvre devrait être installée,
pour faire le point. Elle demande toujours que les dossiers
technique, économique et juridique soient sérieusement aboutis et
surtout que les études annoncées soient effectivement réalisées
par la Mairie.
Un projet à
l’initiative de l’ambassadrice des Etats-Unis
Le 21 novembre 2016,
l’Américain Jeff Koons annonçait qu’il offrait à la Ville de
Paris “Bouquet of Tulips”, comme « un geste d’amitié entre le
peuple américain et le peuple français » après les attentats de
2015 et 2016. L’œuvre haute de 10 mètres, large de 8, pesant 27
tonnes sans socle, en bronze, acier inoxydable et aluminium,
représente une main tenant des tulipes multicolores qui « symbolise
l’acte d’offrir ». « L’œuvre a été créée comme un
symbole de souvenir, d’optimisme et de rétablissement, afin de
surmonter les terribles événements qui ont eu lieu à Paris il y a
un an », expliquait alors Jeff Koons, entouré de la maire de Paris,
Anne Hidalgo, et de l’ambassadrice des Etats-Unis en France, Jane
D. Hartley.
C’est cette dernière
qui a eu l’idée d’offrir l’œuvre de l’artiste à la France,
comme elle l’expliquait au Figaro, le 23 novembre 2016. « J’ai
eu cette idée après le 13-Novembre et ses terribles attaques contre
les gens en terrasse. » Elle dit avoir proposé à Jeff Koons de
créer une œuvre d’art pour l’offrir à la Ville de Paris en
hommage aux victimes des attentats.
Une polémique quasi
immédiate
Dès le lendemain de
l’annonce, les esprits s’échauffent. Harry Bellet, journaliste
au service Culture, écrit dans Le Monde que « Jeff Koons nous offre
des fleurs mais il faudra payer le vase ». De son côté, Télérama
signale que : « Ni les riverains ni les deux directeurs des deux
institutions concernées, Fabrice Hergott [Musée d’art moderne] et
Jean de Loisy [Palais de Tokyo], n’ont été consultés. Pas plus,
semble-t-il, que le corps des architectes des bâtiments de France –
dont la mission est de gérer les espaces protégés comme le Palais
de Tokyo, édifice bâti pour l’exposition internationale de 1937.
»
A la fin de l’année
2017, une pétition intitulée « Non au bouquet de tulipes de Jeff
Koons à Paris » est lancée par Espace 35, collectif d’artistes
de Belleville. Elle a recueilli plus de 6 150 signatures. Ses auteurs
dénoncent la « démesure » du projet : « Sa présence (…) nous
privera d’un point de vue unique. »
Jeff Koons, « emblème
d’un art spéculatif »
Dans une tribune publiée
dans Libération, le 21 janvier, une vingtaine de personnalités
rassemblées autour du réalisateur Olivier Assayas, de l’ancien
ministre Frédéric Mitterrand, lancent un « Non au “cadeau” de
Jeff Koons ». Selon eux, Koons est « devenu l’emblème d’un art
industriel, spectaculaire et spéculatif » et « son atelier et ses
marchands sont aujourd’hui des multinationales de l’hyperluxe ».
« Le choix de l’œuvre, et surtout de son emplacement, sans aucun
rapport avec les tragiques événements invoqués et leur
localisation, apparaissent pour le moins surprenants, sinon
opportunistes, voire cyniques. Par son impact visuel, son gigantisme
et sa situation, cette sculpture bouleverserait l’harmonie actuelle
entre les colonnades du Musée d’art moderne de la Ville de Paris
et le Palais de Tokyo, et la perspective sur la tour Eiffel »,
arguent-ils enfin.
Des personnalités «
pas convaincues » par le projet
Le 24 janvier, dans Le
Monde, Harry Bellet essayait de tordre le cou aux reproches adressés
au projet, relevant « une méconnaissance du dossier » et rappelant
qu’il s’agit d’une « initiative individuelle, privée, pas
d’une commande publique » et que « l’installation (…) [est
un] hommage aux victimes des attentats en France ».
De son côté, le Comité
professionnel des galeries d’art a fait connaître son opposition
au projet, rappelle Le Figaro : « Il n’est pas question ici de
juger des qualités esthétiques ou de la pertinence de la sculpture
en tant qu’hommage aux victimes des attentats en France, mais de
l’emplacement qui a été choisi. »
Dans une série de
tribunes publiées dans Le Monde, le 30 janvier, l’ancien ministre
de la culture Jean-Jacques Aillagon reconnaît qu’il n’est « pas
convaincu par le projet d’implantation de Bouquet of Tulips, avenue
du Président-Wilson, à l’emplacement qu’on lui destine ». Le
romancier et essayiste Jean-Philippe Domecq écrit pour sa part que «
le simplisme de l’œuvre jure avec la violence de l’acte qu’il
souhaite commémorer ». Quant au philosophe Yves Michaud, il ironise
: « Le destinataire d’un cadeau est censé pouvoir en faire ce
qu’il veut. (…) Reconnaissons quand même l’élégance de Jeff
Koons : il ne demande pas à entrer directement au Louvre, mais juste
à se faire valoir devant deux sites muséaux majeurs. »
Un financement privé,
mais avec déductions fiscales
Jérôme et Emmanuelle de
Noirmont tentent, dans un texte publié sur leur site, de remettre le
projet en perspective. Initialement, la sculpture devrait être
installée dans le courant de 2017 devant le Musée d’art moderne
de la Ville de Paris et le Palais de Tokyo. Sa production, estimée à
3 millions d’euros, est financée par le mécénat privé américain
et français, particuliers et entreprises, en contrepartie de
déductions fiscales. Les fonds ont été levés entre la fin de
l’année 2016 et l’été 2017, expliquent-ils. « Le mécénat
couvre aujourd’hui l’intégralité des coûts : la production et
l’installation par des apports financiers, les travaux de
renforcement de la place par apport en industrie. » Pour ce qui est
de l’identité des donateurs, il faudra attendre l’annonce du
calendrier final, la signature de toutes les autorisations. «
Souhaitant inscrire ce geste dans un esprit de générosité totale,
Jeff Koons a proposé dès le début d’offrir tous les revenus de
ses droits d’auteur sur cette œuvre aux associations des familles
de victimes des attentats », ajoutent Jérôme et Emmanuelle de
Noirmont.
Pour tenter de mettre un
terme à la polémique, Christophe Girard, adjoint de la maire de
Paris, a annoncé au micro d’Europe 1 le 30 janvier qu’il fallait
« cesser la polémique ; nous allons accueillir l’œuvre de Jeff
Koons au bon endroit ».
Source:
www.lemonde.fr/
Un lien utile vers l'exposition du "Vagin de la reine": ICI
Un autre vers le "Tree" de la place Vendôme: LÀ
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